La Confederazione Generale Italiana del Lavoro (CGIL) a poursuivi l’Italie devant le CEDS, au motif que les dispositions législatives italiennes étaient contraires à l’article 24 (droit à une protection en cas de licenciement) de la Charte sociale européenne, en ce qu’elle prévoient, en cas de licenciement illégal dans le secteur privé, une indemnisation dont le montant est plafonné.
Pour rappel, en vertu de l’article 24 de la Charte sociale européenne, les salariés licenciés sans motif valable doivent obtenir une indemnisation ou toute autre réparation appropriée.
Les mécanismes d’indemnisation sont réputés conformes à la Charte lorsqu’ils prévoient :
- le remboursement des pertes financières subies entre la date du licenciement et la décision de l’organe de recours ;
- la possibilité de réintégration du salarié et/ou ;
- des indemnités d’un montant suffisamment élevé pour dissuader l’employeur et pour compenser le préjudice subi par la victime.
Le 11 février 2020, le CEDS a publié sa décision sur le bien-fondé du recours de la CGIL italienne qui considérait que les dispositions contenues dans les articles 3, 4, 9 et 10 du décret législatif italien n° 23 du 4 mars 2015 étaient contraires à l’article 24 de la Charte sociale européenne.
Ces dispositions législatives italiennes prévoient qu’en cas de licenciement illégal (autre que discriminatoire, entaché de nullité, communiqué oralement ou substantiellement infondé), la victime a le choix entre deux options compensatoires pour le dommage matériel – judiciaire ou extra-judiciaire – qui sont plafonnées et ne couvrent pas les pertes financières effectivement encourues depuis la date du licenciement. Le CEDS considère que les conditions qui s’attachent à chacune de ces options compensatoires sont cependant de nature à encourager, ou du moins à ne pas dissuader, le recours aux licenciements illégaux.
En effet, le CEDS rappelle qu’en cas de licenciement illégal, l’option conciliatoire prévue en Italie permet à l’employeur de se soustraire à une procédure judiciaire tout en maîtrisant les frais du licenciement (plafonnés à 27 mensualités, 6 pour les petites entreprises), alors que cela engage la victime à renoncer à toute poursuite ultérieure, avec pour seul avantage le fait d’être certaine de recevoir une indemnisation dans un court laps de temps.
Le CEDS relève toutefois que la voie judiciaire n’a pas, pour autant, de véritable effet dissuasif sur le licenciement illégal dans la mesure où, d’une part, le montant net de l’indemnisation pour dommage matériel n’est pas significativement supérieur à celui prévu en cas de conciliation et, d’autre part, la durée de la procédure profite à l’employeur, vu que l’indemnisation en question ne peut excéder les montants préétablis plafonnés et la compensation devient ainsi au fil du temps inadéquate par rapport au préjudice subi. Quant aux voies de recours évoquées par le Gouvernement italien, à savoir notamment la possibilité pour le travailleur de faire des demandes de dommages supplémentaires, par exemple liés à la santé ou à un licenciement dit vexatoire, le CEDS constate l’absence d’éléments concluants sur le fait qu’elles permettent effectivement d’obtenir une indemnisation supplémentaire de manière généralisée.
Au vu de ces éléments, le CEDS a ainsi considéré (par 11 voix contre 3) que “ni les voies de droit alternatives offrant au travailleur victime de licenciement illégal une possibilité de réparation au-delà du plafonnement prévu par la loi en vigueur, ni le mécanisme de conciliation, tels qu’établis par les dispositions contestées, ne permettent dans tous les cas de licenciement sans motif valable d’obtenir une réparation adéquate, proportionnelle au préjudice subi et de nature à dissuader le recours aux licenciements illégaux“. Il en a ainsi conclu que les dispositions législatives italiennes étaient contraires à l’article 24 de la Charte européenne. (CEDS, 11 févr. 2020, Confederazione Italiana del Lavoro (CGIL) c. Italie, no 158/2017)
Cette décision sur le barème italien précède celle qui doit prochainement être rendue sur le barème français dit “Macron”, après la saisine du CEDS par la Confédération Générale du Travail Force Ouvrière (CGT-FO) c. France, réclamation n° 160/2018.
En France, la Cour de cassation, le Conseil d’Etat et le Conseil constitutionnel ont tous validé la conventionnalité de l’article L.1235-3 du Code du travail qui prévoit également un plafonnement des dommages et intérêts octroyés à un salarié licencié (hors cas de nullité du licenciement).
Le Conseil constitutionnel a ainsi validé ce dispositif dans le cadre du recours formé contre la loi de ratification de l’ordonnance (cf. Décision n° 2018-761 DC du 21 mars 2018), en relevant que le critère tiré de l’ancienneté, s’il est en lien avec le préjudice subi, n’entre pas en contradiction avec le principe d’égalité.
De même, la Cour de cassation a rappelé que :
- « Les dispositions de l’article 24 de la Charte sociale européenne révisée ne sont pas d’effet direct en droit interne dans un litige entre particuliers ».
- « Les dispositions de l’article L. 1235-3 du Code du travail, dans leur rédaction issue de la loi n° 2018-217 du 29 mars 2018, qui fixent un barème applicable à la détermination par le juge du montant de l’indemnité pour licenciement sans cause réelle et sérieuse, sont compatibles avec les stipulations de l’article 10 de la Convention n° 158 de l’Organisation internationale du travail ». (Cass. Ass. Plén. Avis n° 15013 du 17 juillet 2019).
Le Conseil d’Etat avait également confirmé l’opposabilité de la législation française imposant un barème d’indemnisation en rappelant qu’ « Il ne résulte ni des stipulations invoquées, ni, en tout état de cause, de l’interprétation qu’en a donné le comité européen des droits sociaux dans sa décision du 8 septembre 2016, dont se prévaut la requérante, qu’elles interdiraient aux Etats signataires de prévoir des plafonds d’indemnisation inférieurs à vingt-quatre mois de salaire en cas de licenciement sans cause réelle et sérieuse […] ».(CE Réf. Ord. 7 décembre 2017, n°415.243)
Au vu de la décision du CEDS à l’encontre de l’Italie et au vu des similitudes entre la législation italienne et la législation française, il ne peut être exclu que le Comité européen considère toutefois que l’article L. 1235-3 du Code du travail viole l’article 24 de la Charte européenne.
Reste à voir quelle serait alors, le cas échéant, la position adoptée par le gouvernement français et par la Cour de cassation qui, jusqu’à présent, a rappelé l’absence d’effet direct de cette charte en droit interne.
https://hudoc.esc.coe.int/fre/#{%22ESCDcIdentifier%22:[%22cc-158-2017-dmerits-fr%22]}