Quand les télétravailleurs peuvent-ils prétendre à des titres-restaurant ?

Pour rappel, l’employeur n’est pas légalement tenu d’attribuer des titres-restaurant et il ne lui est pas interdit d’en subordonner l’attribution à certains critères, qui doivent toutefois rester objectifs.

 

La Cour de cassation avait ainsi déjà pu admettre que l’employeur pouvait prévoir des tarifications différentes des tickets restaurant en fonction de l’éloignement du lieu de travail par rapport au domicile des salariés (Cass. soc., 22 janvier 1992, n°88-40.938).

 

De même, les juges ont pu considérer que l’éloignement du domicile du salarié par rapport à son lieu de travail constituait un critère objectif d’éligibilité au titre-restaurant, les salariés situés à moins de dix minutes de leur lieu de travail pouvant se voir refuser l’octroi d’un tel avantage dès lors qu’ils peuvent regagner leur domicile pour le déjeuner (CA Nîmes, 27 mars 2012, n°10/04144).

 

Le Ministère du travail a toutefois indiqué, dans un questions-réponses du 5 octobre 2020 relatif au télétravail, qu’en application du principe général d’égalité de traitement entre salariés, les télétravailleurs doivent en principe bénéficier des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que ceux applicables aux salariés en situation comparable travaillant dans les locaux de l’entreprise.

 

Il s’agit d’une règle d’ordre public rappelée à l’article 4 de l’accord national interprofessionnel du 19 juillet 2005 relatif au télétravail et reprise dans le Code du travail à l’article L 1222-9.

 

Aussi, dès lors que les salariés exerçant leur activité dans les locaux de l’entreprise bénéficient de titres-restaurant, les télétravailleurs devraient également en recevoir si leurs conditions de travail sont équivalentes. L’attribution d’un titre-restaurant étant seulement conditionnée à ce que le repas du salarié soit compris dans son horaire de travail journalier (article R. 3262-7 du Code du travail), les télétravailleurs pourraient ainsi prétendre à un titre-restaurant par jour travaillé dès lors que leur journée de travail recouvre 2 vacations entrecoupées d’une pause réservée à la prise d’un repas.

 

Cette position du Ministère rejoint celle de l’URSSAF, qui précise que le télétravailleur, comme les salariés travaillant au sein de l’entreprise, doit bénéficier de titres-restaurants.

 

L’employeur est-il toutefois systématiquement tenu d’accorder des titres-restaurant à ses salariés placés en situation de télétravail dès lors qu’il en fait bénéficier ceux travaillant sur site, dans l’hypothèse notamment où l’octroi de ces titres restaurant reposeraient sur des critères objectifs, comme par exemple l’absence de restaurant d’entreprise ?

 

Le Tribunal judiciaire de Nanterre a répondu par la négative dans un jugement du 10 mars 2021 (n°20/09616), estimant que la situation des télétravailleurs et celle des salariés travaillant sur site qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise ne sont pas comparables, les télétravailleurs n’ayant pas à supporter un surcoût lié à la restauration hors du domicile.

 

Ainsi, selon le Tribunal judiciaire de Nanterre, « le titre-restaurant est un avantage consenti par l’employeur qui ne résulte d’aucune obligation légale. La loi ne définit pas ses conditions d’attribution si ce n’est que le repas du salarié pris en charge doit être compris dans son horaire de travail journalier » (C. trav., art. R. 3262-7). Il n’est pas contestable, ajoute le tribunal, que les « télétravailleurs doivent bénéficier des tickets-restaurant si leurs conditions de travail sont équivalentes à ceux travaillant sur site sans restaurant d’entreprise (RE ou RIE) ».

 

Pour autant, les magistrats ont relevé que :

 

–      « l’objectif poursuivi par l’employeur en finançant ces titres de paiement en tout ou en partie, est de permettre à ses salariés de faire face au surcoût lié à la restauration hors de leur domicile pour ceux qui seraient dans l’impossibilité de prendre leur repas à leur domicile » ;

 

–      Or, en l’espèce « les salariés placés en télétravail le sont à leur domicile et ne peuvent donc prétendre, en l’absence de surcoût lié à leur restauration hors de leur domicile, à l’attribution de tickets-restaurant ».

 

De ce fait, les magistrats considèrent que : « la situation des télétravailleurs et celle des salariés travaillant sur site qui n’ont pas accès à un restaurant d’entreprise et auxquels sont remis des tickets restaurant ne sont pas comparables, de sorte que la fédération requérante ne peut valablement soutenir que, faute de remise de tickets-restaurant, les télétravailleurs ne bénéficieraient pas des mêmes droits et avantages légaux et conventionnels que les salariés travaillant sur site ».

 

Le jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre retient que l’objectif de l’employeur était de faire face au surcoût lié à la restauration hors du domicile pour ceux qui seraient dans l’impossibilité de prendre leur repas à leur domicile. Le jugement ne précise toutefois pas si ce critère avait été expressément indiqué par l’employeur comme une condition d’octroi de cet avantage, ni expressément définie (comme cela avait pu être le cas dans les faits d’espèce retenus par la Cour d’appel de Nîmes dans l’arrêt précité du 27 mars 2012).

 

Dans l’hypothèse où tel n’aurait pas été le cas, cette position du Tribunal de Nanterre semblerait aller à l’encontre de la position de l’URSSAF et du Ministère du travail dès lors que les employeurs qui octroient des titres restaurant sont généralement ceux qui ne disposent pas, par ailleurs, de restaurant d’entreprise. Or, à la lecture du jugement du Tribunal judiciaire de Nanterre, il pourrait être soutenu que les télétravailleurs, qui ne sont a priori jamais dans une situation comparable aux salariés travaillant sur site et qui ne disposent pas de restaurant d’entreprise, pourraient donc être systématiquement considérés comme étant dans une situation non comparable et se voir ainsi refuser l’octroi d’un tel avantage. 

 

Ce jugement ouvre à nouveau le débat sur les droits des télétravailleurs. Un appel sera probablement interjeté à l’encontre de cette décision…

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