Cons. Prud’h. Lyon, 21 février 2025, n° 23/02471
Près de deux ans après l’entrée en vigueur de la présomption de démission pour abandon de poste, le Conseil de prud’hommes de Lyon a rendu un premier jugement qui renverse la présomption de démission et requalifie la rupture en licenciement sans cause réelle et sérieuse. Ce jugement apporte plusieurs enseignements clés sur l’application de ce dispositif légal récent.
Rappel des faits
En l’espèce, une salariée a refusé un transfert de son contrat de travail après la perte d’un marché. L’employeur lui a proposé une nouvelle affectation au sein d’une autre société, qu’elle a également rejetée en estimant qu’il s’agissait d’une mise à disposition et non d’’une nouvelle affectation dans le cadre de ses fonctions contractuelles.
L’employeur a alors envoyé une mise en demeure à la salariée, lui demandant de justifier son absence et de reprendre son poste sous 15 jours. Ne recevant pas de réponse, l’employeur a considéré la salariée comme démissionnaire et a rompu son contrat de travail.
La salariée a contesté cette présomption de démission en invoquant une modification de son contrat de travail, ce qui l’a conduite à saisir le conseil de prud’hommes de Lyon.
Rappel du droit applicable
Depuis la loi n° 2022-1598 du 21 décembre 2022, dite “Marché du travail”, l’article L. 1237-1-1 du Code du travail prévoit qu’un salarié qui abandonne volontairement son poste et ne reprend pas le travail après une mise en demeure est présumé démissionnaire.
Toutefois, cette présomption peut être renversée si le salarié invoque l’un des motifs légitimes visés à l’article R. 1237-13 du Code du travail (à savoir notamment l’exercice du droit de retrait ou du droit de grève, des raisons médicales, ou encore une modification du contrat de travail par l’employeur).
Décision du Conseil de prud’hommes
Le Conseil de prud’hommes de Lyon a jugé que l’employeur n’avait pas suffisamment démontré, avant la rupture du contrat, que l’affectation sur le site d’une société tierce relevait d’un contrat de sous-traitance et non d’une mise à disposition, laquelle aurait entraîné une modification du contrat de travail de la salariée.
Le tribunal a ainsi requalifié la rupture du contrat de travail en licenciement sans cause réelle et sérieuse et a accordé à la salariée diverses indemnités, dont l’indemnité compensatrice de préavis, l’indemnité légale de licenciement et des dommages-intérêts pour licenciement sans cause réelle et sérieuse.
Analyse
Ce jugement marque un tournant important dans l’application de la présomption de démission. Le Conseil de prud’hommes de Lyon ne s’est pas limité à la simple question de savoir si la salariée avait effectivement abandonné son poste, mais a aussi pris en compte le contexte de la modification du contrat de travail invoquée par cette dernière. En l’absence de preuves claires de l’employeur quant à la nature de l’affectation proposée, le tribunal a estimé que la salariée était fondée à refuser cette modification, ce qui justifiait son absence.
Point à retenir pour les employeurs : si vous souhaitez utiliser la présomption de démission vous devez vous montrer particulièrement vigilants à ce que le salarié ne puisse pas évoquer ultérieurement l’un des motifs faisant obstacle à cette présomption, sous peine de voir le licenciement prononcé dépourvu de cause réelle et sérieuse.