Protection des lanceurs d’alerte : première analyse du nouveau dispositif législatif

Protection des lanceurs d’alerte : première analyse du nouveau dispositif législatif

Par Paul ROMATET

Counsel au sein du cabinet MGG Voltaire

1. Partant du constat que les Etats membres légiféraient de façon très inégale et imparfaite sur le sujet des lanceurs d’alerte, la Commission européenne a, dès 2018, posé une première pierre à l’édifice d’un nouveau cadre juridique uniforme sur ce sujet.

La Directive (UE) 2019/1937 du 23 octobre 2019 sur la protection des personnes qui signalent des infractions au droit de l’Union, très commentée en son temps, proposait ainsi des pistes d’évolution innovantes allant de l’élargissement de la définition du lanceur d’alerte à la mise en place de nouveaux canaux de signalement en passant par un renforcement des mesures de protection.

2. Les Etats membres avaient jusqu’au 17 décembre 2021 pour transposer en droit interne ces nouvelles règles, étant toutefois observé que cet échéancier n’a, à quelques exceptions près, pas été respecté par la grande majorité des pays concernés.

En France, le processus de transposition de la Directive est quant à lui sur le point d’aboutir.

Après plusieurs mois de débats, la proposition de loi déposée à l’Assemblée nationale en juillet 2021 a fait l’objet d’un ultime vote par le Sénat le 16 février dernier. Après un passage par la case du Conseil constitutionnel, saisi le 18 février 2022, le texte devrait accéder prochainement au rang de Loi.

L’occasion de procéder à une première analyse de ce nouveau dispositif législatif qui, outre quelques évolutions notables par rapport à la loi Sapin 2, comporte encore des zones d’ombre qui ne manqueront pas d’ouvrir la voie à quelques contentieux ultérieurs.

3. Pour mieux appréhender le futur dispositif législatif, encore faut-il comprendre l’état actuel du droit en matière de protection des lanceurs d’alerte. 

La loi 2016-1691 du 9 décembre 2016 relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique (appelée Sapin 2) propose depuis plusieurs années une protection juridique du lanceur d’alerte, ce dernier étant actuellement défini comme « la personne physique qui révèle ou signale, de manière désintéressée et de bonne foi, un crime ou un délit, une violation grave et manifeste d’un engagement international (…), de la loi ou du règlement, ou une menace ou un préjudice graves pour l’intérêt général, dont elle a eu connaissance ».

A cette définition est adjointe une procédure spécifique de recueil des signalements en trois étapes successives (article 8 de la Loi Sapin 2) :

  • Le signalement doit d’abord être porté à la connaissance du supérieur hiérarchique, direct ou indirect, de l’employeur ou d’un référent désigné par ce dernier,
  • « en l’absence de diligences de la personne destinataire de l’alerte (…) dans un délai raisonnable », le signalement peut être porté devant une autorité administrative ou judiciaire ou devant un ordre professionnel,
  • Enfin, à défaut de traitement du signalement par l’autorité publique dans un délai de trois mois, le lanceur d’alerte peut alors rendre son signalement public.

Cette procédure souffrait toutefois d’une exception, visée à l’article 8 II, dans l’hypothèse où le lanceur d’alerte est susceptible de caractériser un « danger grave et imminent ou en présence d’un risque de dommages irréversibles ». L’alerte peut alors passer outre la première étape et porter son signalement directement devant les autorités publiques.

4. Le dispositif actuel souffre de plusieurs difficultés auxquelles le législateur a entendu répondre en revoyant substantiellement sa copie à l’aune des nouvelles orientations dessinées par le Conseil européen :

i. Une nouvelle définition du lanceur d’alerte

Dans sa nouvelle rédaction issue de la nouvelle loi votée par le Sénat le 16 février dernier, l’article 6 définit le lanceur d’alerte comme : « la personne physique qui signale ou divulgue, sans contrepartie financière directe et de bonne foi (…) ».

Cette nouvelle mouture du texte vise à ouvrir largement la définition du lanceur d’alerte.

Exit ainsi la notion de « désintéressement » aux contours flous et susceptible de mettre le lanceur d’alerte en difficulté notamment en cas de recours prud’homal, ou encore la référence à la « connaissance » personnelle des faits par l’intéressé qui pouvait fermer la porte à de nombreux signalements.

Inversement, il sera constaté que la nouvelle Loi ouvre le champ de la protection aux « facilitateurs » (définis comme les personnes aidant le lanceur d’alerte à effectuer son signalement) ou encore « aux personnes physiques en lien avec un lanceur d’alerter » et qui risquent de faire l’objet d’une mesure de représailles dans le cadre de leurs activités professionnelles à raison de leur lien avec le lanceur d’alerte.

ii. Une extension du domaine de l’alerte

Le législateur a, là encore, expurgé la définition de l’alerte proposée par la loi de 2016 de plusieurs lourdeurs susceptibles de prêter le flanc contentieux.

Désormais, l’article 6 précise que l’alerte doit porter sur « un crime, un délit, une menace ou un préjudice pour l’intérêt général, une violation ou une tentative de dissimulation d’une violation d’un engagement international (…) de la loi ou du règlement ».

Deux observations :

  • Il est important de noter que le renvoi à la notion de « gravité » ou de « caractère manifeste » de la violation constatée a été purement et simplement retiré de cette nouvelle définition. De fait, ces notions étaient particulièrement difficiles à appréhender et avaient pour effet de restreindre substantiellement le champ des signalements autorisés.
  • Inversement, il doit être observé que la notion de « dissimulation d’une violation » a été introduite par le législateur, cette précision – absente de la définition de la loi de 2016 – permettant d’ouvrir le champ de l’alerte à d’autres horizons.

iii. Une simplification de la procédure de signalement

Aux trois étapes successives prévues par le législateur en 2016 va se substituer une procédure à tiroirs, le lanceur d’alerte étant désormais seul maître du canal de communication qu’il souhaite privilégier.

La refonte de l’article 8 de la loi de 2016 constitue à ce titre le changement le plus radical proposé par le législateur de 2022.

Désormais :

  • Le lanceur d’alerte peut (et non plus doit) « notamment lorsqu’il estime qu’il est possible de remédier efficacement à la violation par cette voie et qu’il ne s’expose pas à un risque de représailles » porter son signalement par la voie interne. La loi de 2022 précise que cette faculté appartient notamment aux membres du personnel (aussi bien candidats à un poste, qu’en poste ou dont le contrat a été rompu), aux actionnaires, aux membres de l’organe d’administration, aux collaborateurs extérieurs et occasionnels ainsi qu’aux cocontractants et sous-traitants… Un point notable : la liste des personnes habilitées à porter des signalements internes exclu donc les représentants du personnel au titre de leur mandat.

  • Alternativement, le lanceur d’alerte peut adresser son signalement soit directement, soit après avoir effectué un signalement interne à une autorité publique (principalement le Défenseur des droits ou une autorité judiciaire).

  • S’agissant de la divulgation publique de l’information, celle-ci peut intervenir :

o  Soit lorsque le signalement externe (précédé ou non d’un signalement interne) n’a donné lieu « à aucune mesure appropriée » dans un certain délai,

o  Soit directement en cas de « danger grave et imminent » ou « lorsque la saisine d’une autorité publique ferait encourir à l’auteur du signalement un risque de représailles ou ne permettrait pas de remédier efficacement à l’objet de la divulgation » (notamment en cas de risque de dissimulation ou de destruction de la preuve),

o  Soit directement « en cas de danger imminent ou manifeste pour l’intérêt général, notamment lorsqu’il existe une situation d’urgence ou un risque de préjudice irréversible ».

Bien que les entreprises de plus de 50 salariés soient requises de mettre en place un dispositif de recueil et de traitement des signalements, cet effort est susceptible de ne pas être récompensé, les lanceurs d’alerte pouvant tout à fait se dispenser de la voie interne pour porter leur signalement directement devant une autorité publique.

Par ailleurs, si la divulgation publique d’information reste en principe assujettie à la communication préalable de l’information aux autorités publiques (précédée ou non d’un signalement interne), les lanceurs d’alerte peuvent désormais exciper d’un « danger grave et imminent » ou d’un simple risque de disparition de la preuve pour passer outre ces étapes préalables et révéler l’information directement au public.

L’élargissement des cas de divulgation publique directe interpelle et pourrait donner lieu à un contentieux futur portant principalement sur la caractérisation du danger grave et imminent, dont la démonstration sera à la charge du lanceur d’alerte.

iv. Un renforcement des mesures prohibées à l’égard du lanceur d’alerte

Si l’article 12 de la loi du 9 décembre 2016 autorisait le lanceur d’alerte à saisir le conseil de prud’hommes « en cas de rupture du contrat de travail consécutive au signalement d’une alerte au sens de l’article 6 », la nouvelle Loi de 2022 pousse le champ des restrictions un cran plus loin.

De nouvelles dispositions sont ainsi introduites par le nouvel ensemble législatif visant à renforcer la protection dont pourraient bénéficier les lanceurs d’alerte, ces derniers ne pouvant désormais faire l’objet de quelque mesure de représailles que ce soit, ni de menaces ou de tentatives de représailles.

La nouvelle loi propose une longue liste de mesures non autorisées à l’égard du lanceur d’alerte (suspension, mise à pied, licenciement, rétrogradation, transfert de fonctions, changement de lieu de travail, suspension de la formation, évaluation de performance négative, intimidation, harcèlement ou ostracisme, discrimination, traitement désavantageux ou injuste…).

Le renforcement de ces mesures appelle deux observations :

  • La modification de la liste des mesures prohibées ne conduirait-elle pas l’employeur dans un cul-de-sac ? L’employeur a en effet une obligation de protection du lanceur d’alerte et doit prendre des mesures visant à ne pas exposer le lanceur d’alerte à des représailles, notamment de la part d’un manager direct ou indirect. L’employeur pourrait ainsi devoir être conduit à prendre quelques mesures d’éloignement du salarié dans un objectif de protection de ce dernier. Or, ces mesures de préservation toutes légitimes soient-elles pourraient désormais être interdites compte tenu du champ très large retenu par les nouveaux textes.

  • Il convient par ailleurs de noter que toute contestation des mesures prises par l’employeur à l’égard du lanceur d’alerte est susceptible de répondre aux mêmes règles probatoires qu’en matière de discrimination ou de harcèlement. A ce titre, la Loi de 2022 prévoit que s’il incombe au demandeur de « présenter des éléments de fait qui permettent de supposer » qu’il a signalé les informations dans les conditions prévues par la loi, il appartiendra au défendeur de « prouver que sa décision est dûment justifiée ».

Bien qu’apportant quelques précisions et assouplissements salutaires qui, à n’en pas douter, permettront un renforcement de la protection des lanceurs d’alerte, le texte en passe d’être promu au rang de Loi (les Sages du Conseil constitutionnel ayant été saisis, sa promulgation définitive devra encore attendre quelques semaines) suscite encore des interrogations.

Le contentieux permettra de façonner un peu plus ces nouvelles règles qui, une fois confrontées à la pratique, ne manqueront pas de révéler certaines faiblesses.

http://www.senat.fr/petite-loi-ameli/2021-2022/425.html

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