Condamnation de la France pour violation de la liberté d’expression d’une salariée dénonçant un harcèlement sexuel

Dans un arrêt du 18 janvier 2024, la Cour Européenne des Droits de l’Homme (ci-après « CEDH ») a condamné la France pour violation de l’article 10 de la Convention des droits de l’homme (sur la liberté d’expression).

  • Les faits 

Dans cette affaire, une salariée avait dénoncé, par courriel, à six personnes– au sein et en dehors de l’association dans laquelle elle travaillait – des faits de harcèlement et d’agression sexuels de la part du vice-président exécutif.

Poursuivie par ce dernier pour diffamation publique envers un particulier, la salariée a, par la suite, été condamnée à ce titre par le Tribunal correctionnel de Paris.  Cette décision a été confirmée (au moins partiellement) jusqu’en cassation.

Invoquant sa liberté d’expression, la salariée a saisi la CEDH.

  • L’analyse juridique de la CEDH

Deux éléments ont servi au raisonnement de la CEDH :

  1. Les destinataires restreints de l’email

En effet, les juges européens ont constaté que, parmi les six destinataires du courriel, cinq personnes « étaient soit impliquées, soit habilitées à recevoir des dénonciations de harcèlement » (notamment l’inspection du travail). Ils ont ainsi souligné que le courriel s’adressait à un nombre limité de personnes et n’avait pas vocation à être diffusé au public.

Aussi, la CEDH a estimé, qu’en retenant le caractère public du courriel, les juges français avaient adopté une approche « excessivement restrictive au regard des exigences attachées au respect de l’article 10 », qui garantit la liberté d’expression.

De plus, la Cour de Strasbourg a relevé que les faits dénoncés avaient été commis sans témoin, sans pour autant que l’absence de plainte de la salariée puisse suffire à caractériser sa mauvaise foi. En conséquence, la CEDH a jugé que « les juridictions nationales ont fait peser sur la requérante une charge de la preuve excessive en exigeant qu’elle rapporte la preuve des faits qu’elle entendait dénoncer ».

2. L’effet dissuasif de la condamnation pénale

Si la CEDH note la faible sanction pécuniaire à laquelle salariée a été condamnée au titre de la diffamation (1.000€), elle précise néanmoins que cette sanction demeure une condamnation pénale, qui « comporte, par nature, un effet dissuasif susceptible de décourager les intéressés de dénoncer des faits aussi graves que ceux caractérisant, à leurs yeux, un harcèlement moral ou sexuel, voire une agression sexuelle ».

  • La solution adoptée

La CEDH conclut à l’absence de proportionnalité entre la restriction à la liberté d’expression de la salariée et le but légitime poursuivi.

Elle en déduit une violation de l’article 10 (liberté d’expression) de la Convention Européenne des Droits de l’Homme et condamne la France au paiement de 8.500 € pour dommages moral et matériel ainsi que 4.250€ pour frais et dépens.

https://hudoc.echr.coe.int/eng-press?i=003-7852802-10907218

L’avenir dira si l’application par les juges français d’une telle jurisprudence autorisera les salariés à accuser leur employeur d’avoir commis ce qui, “à leurs yeux”, constitue une infraction ou si elle ne servira qu’à guider les juridictions pénales nationales dans leur appréciation de la bonne foi de la dénonciation.