Introduite en 2000, la convention de forfait en jours permet, sous réserve du respect des conditions posées par la loi, de décompter le temps du salarié non plus en heures sur la semaine, mais en jours (le plus souvent sur l’année). En conséquence de quoi, la législation sur les heures supplémentaires n’est pas applicable.
La conclusion d’une telle convention impose, entre autres, que le recours à une convention de forfait jours fasse l’objet d’une convention ou d’un accord collectif. Cet accord ou cette convention, doit selon l’article L. 3121-64 du Code du travail, notamment déterminer :
« 1° Les modalités selon lesquelles l’employeur assure l’évaluation et le suivi régulier de la charge de travail du salarié ;
2° Les modalités selon lesquelles l’employeur et le salarié communiquent périodiquement sur la charge de travail du salarié, sur l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ».
Néanmoins, tous les accords ou conventions collectifs permettant le recours au forfait jours n’abordent pas ces points. C’est d’autant plus vrai pour les accords et conventions les plus anciens qui n’ont pas été actualisés au rythme des évolutions législatives.
Pour autant, pour pallier de tels silences conventionnels, le législateur a prévu des dispositions de « rattrapage » que l’employeur devra appliquer afin de pouvoir valablement recourir au dispositif du forfait. Ainsi, l’article L. 3121-65 I du Code du travail précise que l’employeur pourra tout de même valablement conclure des conventions individuelles de forfait en jours sous réserve :
1° D’établir « un document de contrôle faisant apparaître le nombre et la date des journées ou demi-journées travaillées ». Etant précisé que ce document peut être renseigné, « sous la responsabilité de l’employeur », par le salarié ;
2°De s’assurer « que la charge de travail du salarié est compatible avec le respect des temps de repos quotidiens et hebdomadaires » ;
3° D’organiser « une fois par an un entretien avec le salarié pour évoquer sa charge de travail, qui doit être raisonnable, l’organisation de son travail, l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle ainsi que sa rémunération ».
Pour la première fois, par un arrêt du 10 janvier 2024 (n°22-15.782), la chambre sociale de la Cour de cassation a eu à contrôler l’application par l’employeur de ces dispositions de « rattrapage ».
Engagé par contrat incluant une convention de forfait en jours, le un salarié est licencié, deux ans plus tard, pour insuffisance professionnelle.
Il saisit le Conseil de prud’homme de céans de diverses demandes relatives à l’exécution et à la rupture de son contrat de travail, y compris une demande en nullité de la convention de forfait. Condamné en appel, l’employeur forme un pourvoi en cassation.
En l’espèce, le recours à une convention individuelle de forfait jours était fondé sur un accord collectif de 2003. Accord qui, en raison de son ancienneté, ne prévoyait ni les modalités d’évaluation et de suivi par l’employeur de la charge du travail du salarié, ni les modalités de communication entre l’employeur et le salarié sur « l’articulation entre son activité professionnelle et sa vie personnelle, sur sa rémunération ainsi que sur l’organisation du travail dans l’entreprise ».
L’employeur prétendait avoir pallié les lacunes conventionnelles en appliquant les dispositions de rattrapage prévues à l’article L.3121-65 I du Code du travail.
Cependant, s’il existait bel et bien un document permettant le suivi des jours travaillés par le salarié (1°), il ne reflétait en rien les jours réellement travaillés par le salarié. Qu’importe que ces indications mensongères soient le fait du salarié, précise la Cour, dès lors que ce document doit être complété « sous la responsabilité de l’employeur ». Or, selon la Cour d’appel, dans ces conditions, ce dernier se retrouvait dans l’impossibilité de s’assurer que la charge de travail du salarié était compatible avec le respect des temps de repos quotidien et hebdomadaire (2°). A cela s’ajoutait le fait que l’employeur n’avait pas satisfait à son obligation d’organiser avec le salarié un entretien annuel par aborder la question de sa charge de travail (3°).
L’employeur doit donc s’assurer, outre de leur mise en place, du respect effectif de chacune de ces 3 obligations.
Or, poursuit la Cour de cassation, un manquement à l’une de ces 3 obligations suffit à priver l’employeur de sa faculté de se prévaloir des dispositions de « rattrapage », ce qui conduit à la nullité de la convention individuelle de forfait jours.
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