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Sur les limites du contrôle du motif économique par les autorités administratives

S’il y a encore des domaines dans lesquels les jurisprudences administratives et judiciaires sont discordantes, réjouissons-nous des efforts des juridictions lorsqu’elles s’engagent dans la voie d’une harmonisation de leurs positions.

Le dernier exemple en date concerne le niveau d’immixtion des autorités et juridictions administratives dans la détermination du bien-fondé du motif économique commandant la rupture du contrat de travail.

Il est constant que le licenciement ou la modification du contrat de travail d’un salarié en application des dispositions de l’article L. 1222-6 du Code du travail doivent être justifiés par une cause économique (selon les critères de l’article L. 1233-3 du Code du travail). Toutefois, de nombreuses autorités et juridictions administratives – auxquelles sont soumises les demandes d’autorisation de rupture du contrat de travail des salariés protégés – subordonnent la délivrance de leur blanc-seing à la démonstration que le licenciement du salarié protégé était nécessaire voire indispensable à la sauvegarde de l’activité de l’entreprise.

En d’autres termes, ces autorités administratives exigent de l’employeur qu’il démontre la pertinence des mesures prises au regard des objectifs économiques poursuivis.

Le guide relatif aux décisions administratives en matière de rupture ou de transfert du contrat de travail des salariés protégés prévoit pourtant que « l’Inspecteur du travail ne saurait substituer son appréciation à celle de l’employeur en matière de choix de gestion » (Fiche 7a – point 3.2).

Il est topique de constater que les conclusions du guide sont fondées sur la seule jurisprudence judiciaire (Cass. Ass. Plén., 8 déc. 2000, n°97-44.219 ; Cass. Soc., 8 juill. 2009, n°08-40.046), la jurisprudence administrative étant elle-même peu abondante sur ce sujet.

Hélas, les recommandations de ce guide restent peu suivies par certaines juridictions administratives, le Conseil d’état ayant dès lors été contraint de rappeler dans une récente décision que le contrôle du motif économique n’était pas sans limite (CE, 15 nov. 2022, n°449317).

Dans l’espèce en cause, une société avait proposé une modification pour motif économique de son contrat de travail à un salarié protégé. Celui-ci l’avait refusée, la Société ayant alors engagé une procédure de licenciement pour motif économique à son égard. Ce licenciement avait été autorisé par l’Inspection du travail mais annulé par le Tribunal administratif de Paris, suivi par la Cour administrative d’appel de Paris.

Au soutien de sa décision, la Cour administrative d’appel avait jugé qu’en « autorisant le licenciement [du salarié protégé] sans vérifier si la modification de son contrat de travail proposée par son employeur était strictement nécessaire au motif économique que ce dernier alléguait », l’Inspection du travail avait entaché sa décision d’illégalité.

Le Conseil d’état censure un tel raisonnement et rappelle qu’« il appartient à l’administration de vérifier que la modification du contrat de travail est, non strictement nécessaire, mais justifiée par le motif économique allégué ».

 Voici une décision qui aura non seulement pour mérite de s’accorder avec la jurisprudence judiciaire en la matière mais également de clarifier l’office du juge et des autorités administratives en matière de contrôle du motif économique, ces derniers ne pouvant se substituer à l’employeur quant aux choix de gestion qu’il effectue dans la mise en œuvre d’une réorganisation.


Source: https://juricaf.org/arret/FRANCE-CONSEILDETAT-20221115-449317