Trajets domicile-travail et temps de travail effectif, revirement de la Cour de cassation

Aux termes de ses dispositions d’ordre public, le Code du travail dispose que :

  • La durée du travail effectif est le temps pendant lequel le salarié est à la disposition de l’employeur et se conforme à ses directives sans pouvoir vaquer librement à des occupations personnelles (C. trav. L. 3121-1) ;
  • Le temps de déplacement professionnel pour se rendre sur le lieu d’exécution du contrat de travail n’est pas un temps de travail effectif (C. trav. L. 3121-4, al.1er).

Qu’en est-il alors du temps de trajet d’un salarié itinérant entre son domicile et son premier client, puis entre son dernier client et son domicile ?  Doit-il être pris en compte pour le paiement de son salaire et dans le décompte de ses heures supplémentaires ?

Dans un arrêt du 30 mai 2018 (n° 16-20.634), la Cour de cassation avait jugé, au visa de l’article L. 3121-4 du Code du travail, que le temps de déplacement professionnel vers le lieu d’exécution du contrat de travail n’était pas du temps de travail effectif, ce qui excluait toute possibilité de réclamer une rémunération des temps de trajet.

A la lumière de la Directive 2003/88/CE, tel qu’interprétée par la Cour de justice de l’Union européenne (notamment dans un arrêt du 9 mars 2021 – Radiotelevizija Slovenija, C-344/19), la Cour de cassation opère un revirement de jurisprudence. Elle affirme tout d’abord, reprenant les termes du juge européen, que les notions de « temps de travail » et de « période de repos » constituent des notions de droit de l’Union qu’il convient de définir selon des caractéristiques objectives, en se référant au système et à la finalité de la Directive dans le cadre d’une interprétation autonome, seule à même d’en assurer la pleine efficacité.  

Dans son arrêt du 23 novembre 2022 (n° 20-21.924), la Cour de cassation juge ainsi et désormais que, si pendant les temps de trajet ou de déplacement entre son domicile et les premier et dernier clients, le salarié devait se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles, ces temps devaient être intégrés dans le temps de travail effectif et rémunérés comme tel.

La Cour de cassation s’appuie sur les constatations des juges du fond qui avaient relevé que le salarié devait en conduisant, pendant ses déplacements, grâce à son téléphone portable professionnel et son kit main libre intégré dans le véhicule mis à sa disposition par la société, être en mesure de fixer des rendez-vous, d’appeler et de répondre à ses divers interlocuteurs, clients, directeur commercial, assistantes et techniciens, ne se rendait que de façon occasionnelle au siège de l’entreprise pour l’exercice de sa prestation de travail et disposait d’un véhicule de société pour intervenir auprès des clients de l’entreprise répartis sur sept départements éloignés de son domicile, ce qui le conduisait, parfois, à réserver une chambre d’hôtel afin de pourvoir reprendre, le lendemain, le cours des visites programmées.

Pendant les temps de trajet entre son domicile et ses premier et dernier clients, le salarié devait donc se tenir à la disposition de l’employeur et se conformer à ses directives, sans pouvoir vaquer à des occupations personnelles. La condamnation de l’employeur au paiement d’un rappel de salaire au titre d’heures supplémentaires est donc confirmée.