Piqûre de rappel — la perte d’un marché n’entraîne pas de facto le transfert des contrats de travail

Dans un arrêt du 17 janvier 2024 (n°22-20.435), la chambre sociale de la Cour de cassation persiste et signe : une perte de marché n’est pas suffisante pour entraîner, par elle même, l’application des articles L. 1224-1 du Code du travail et suivants organisant le transfert des contrats de travail et des dettes entre les employeurs successifs. La Chambre sociale reste donc en accord avec cette règle posée il y a presque 40 ans par l’Assemblée plénière (15 novembre 1985, n°82-40.301).

Néanmoins, dire que « la perte d’un marché n’entraîne pas, par elle-même », le transfert des contrats de travail ne revient pas à dire qu’il n’y aura jamais de transfert en pareil cas. C’est justement ce que rappelle l’arrêt du 17 janvier.

En l’espèce, une société A avait engagé une salariée en qualité de cuisinière au début de l’année 2018. A la même période, la société A avait conclu avec une société B un contrat de prestations de services, qui prévoyait notamment que la salariée viendrait exécuter ses prestations de restauration au sein de la société B en utilisant les locaux et le matériel mis à sa disposition par la société B.

En février 2019, la société A avait perdu le marché, la société B ne semblant plus vouloir sous-traiter son service de restauration. La société A, alors employeuse de la salariée, l’informa de son transfert imminent au sein de la société B.

La salariée contesta le transfert et saisit le Conseil de prud’hommes afin qu’il tranche la question de savoir qui de la société A ou de la société B était son employeur ainsi que d’une demande de résiliation judiciaire de son contrat de travail.

La Cour d’appel a considéré qu’il y avait bien eu transfert tout en faisant droit à la demande de la salariée concernant la résiliation judiciaire de son contrat de travail, en conséquence de quoi il revenait à la société B, devenue employeur de la salariée, de s’acquitter des dommages et intérêts et des diverses indemnités dus à cette dernière.

La société B a formé un pourvoi en cassation, arguant que les conditions légales pour que le transfert opère n’étaient pas remplies.

Tel n’est pas l’avis de la Cour qui confirme l’arrêt d’appel en rejetant le pourvoi. En effet : « Si la perte d’un marché n’entraîne pas, en elle-même, l’application de l’article L. 1224-1 du Code du travail, il en va autrement lorsque l’exécution d’un marché de prestation de services par un nouveau repreneur s’accompagne du transfert d’une entité économique autonome constituée d’un ensemble organisé de personnes et d’éléments corporels ou incorporels permettant l’exercice d’une activité économique qui poursuit un objectif propre, dont l’identité est maintenue ». En d’autres termes, si une perte de marché ne justifie pas à elle seule un transfert des contrats de travail, il convient cependant de vérifier si les conditions légales conduisant à un tel transfert ne sont pas malgré tout remplies. Il convient donc de regarder, au cas par cas, s’il n’y a pas le transfert d’une entité économique autonome, entité économique autonome qui aurait conservé son identité lors du transfert et poursuivi son activité à l’issue de celui-ci.

En l’espèce la Cour d’appel avait constaté que : « l’activité de restauration […] relevait au sein de la société [A] d’un ensemble organisé de personnes spécialisées dans cette activité, la salariée ayant été recrutée pour occuper le poste de cuisinière et uniquement affectée à cette activité de restauration et de moyens techniques spécifiques nécessaires à son exercice mis à la disposition du prestataire par la [société B], d’autre part, que celle-ci avait repris, à compter du 1er février 2019, l’activité de restauration avec les mêmes moyens d’exploitation corporels et incorporels indispensables à la poursuite de l’activité ».

Il y avait donc bien eu, nonobstant la perte de marché, le transfert d’une entité économique autonome conservant son identité au moment du transfert et poursuivant son activité à l’issue de celui-ci. En conséquence, le contrat de travail de la salariée avait donc bien été transféré de plein droit à la société B à compter du 1er février 2019.